Jacqueline avait toujours sa voilette avec elle. Elle l’emmenait partout et se tenait prête à arborer sa parure à tout instant lorsque la situation lui semblait favorable.
Au début, ses parents avaient cru à un jeu, une occupation d’enfant destinée à disparaître avec le temps. « Tous les enfants adorent se déguiser! » leur répétait sans cesse la maitresse d’école qui à la fin ne savait plus dans quelle vérité ni dans quel imaginaire, voire mensonge, puiser pour leur apporter un peu de tranquillité d’esprit.
Les pauvres, ils avaient l’air tellement épuisés et inquiets qu’elle se faisait beaucoup de souci pour eux et allait chaque dimanche allumer un cierge à l’église en priant pour le retour du bien-être dans cette famille autrefois si joyeuse.
Que s’était-il donc passé? Si sa mémoire était exacte, tout avait commencé le jour des fiançailles de l’aînée du clan. Elle avait quitté le foyer familial le lendemain de la fête, sans dire un mot à personne, ni même à sa douce et tendre soeur Jacqueline qu’elle adorait et choyait comme si c’était son propre enfant.
Dès qu’elles le pouvaient, les deux soeurs s’amusaient ensemble, sans jamais paraître se préoccuper de leur différence d’âge importante, ni de l’infirmité de la cadette, qui était muette de naissance.
L’osmose entre ces deux poupées était tellement forte que certains affirmaient parfois dans le village avoir entendu Jacqueline chanter et crier de bonheur.
Les parents soutenaient que c’était impossible et que l’alcool avait tendance à transformer les mémoires.
Et pourtant, le père savait bien que Jacqueline pouvait crier. Elle n’avait fait d’ailleurs que cela, crier, hurler, pendant ses premières semaines. Il avait alors cru devenir fou et s’était transformé en monstre.
Depuis ce matin sinistre d’avril, il s’en voulait chaque jour de l’acte barbare qu’il avait commis pour mettre fin à son calvaire.
La petite, sous le choc, n’avait plus crié ni parlé depuis mais il savait qu’elle le maudissait, ce qui l’effrayait et le privait de sommeil régulièrement.
Lorsque le corps inerte de sa soeur chérie fut retrouvé, Jacqueline eut l’impression d’avoir été amputée. Elle vécut un tel cauchemar qu’elle décida d’inventer une solution pour survivre et recréer ce lien qui les unissait avec force et était devenu sa raison de vivre.
Un matin, elle eut l’idée de prendre la voilette de fiancée de sa soeur dans le coffre du grenier avant d’aller se recueillir sur sa tombe.
Dès qu’elle posa cet accessoire élégant sur son visage, elle sentit une transformation puissante s’opérer en elle.
Désormais, elle pourrait chanter leur hymnes préférés comme avant, sans que personne ne puisse se douter de quoi que ce soit, communier avec sa soeur et se sentir de nouveau libre.
Alexandra Fadin
(extrait des "Contes Merveilleux du Quotidien", tous droits réservés)
Écrire commentaire